La lecture des référentiels métiers construits dans le cadre de l’Interfédé a suscité chez moi deux types de questionnements : celui de l’approche par compétences [2] et celui des compétences transversales. Dans les référentiels, celles-ci sont définies, soit comme favorisant l’autonomie professionnelle : les compétences transversales métier, soit comme favorisant l’autonomie sociale : les compétences transversales sociales. Ce sont dans les compétences transversales que l’on retrouve une compétence « communiquer » (CT sociales) ou « communiquer (de manière adéquate) en situation professionnelle » (CT métier). Et c’est au sein de la CT sociale « communiquer » que l’on retrouve un item : « maîtriser les codes oral et écrit ».
Aucune trace par contre de maîtrise mathématique dans ces compétences transversales, alors que les savoirs mathématiques nécessaires à la réalisation des activités clés des différents métiers sont nombreux, et par ailleurs cités précisément dans les référentiels métiers. Pour mémoire, l’Europe considère les mathématiques comme une compétence clé au même titre que l’écrit.
Pourquoi cette différence ?
Les mathématiques, une compétence professionnelle ?
Dans les référentiels métiers plus particulièrement analysés ici, ceux de niveau 1 (en termes de responsabilité, complexité et contexte de travail), les savoirs mathématiques seraient tellement incontournables pour pouvoir réaliser les tâches demandées qu’ils sont sans doute naturellement considérés comme des savoirs professionnels, alors que la maîtrise de l’écrit ne serait de fait jamais nécessaire pour réaliser ces mêmes tâches ?
Ainsi on ne retrouve aucune trace de maîtrise de l’écrit dans les compétences transversales métiers. La compétence « communiquer (de manière adéquate) en situation professionnelle » se décline uniquement en savoir-faire, attitudes et savoirs liés à la communication orale. Par contre, comme on le verra plus loin, l’écrit, tout comme les mathématiques, est bien présent dans les tâches professionnelles.
La langue, une compétence sociale ?
Parce que le besoin en langue serait considéré comme une problématique sociale, adossée à l’illettrisme ?
Comme le souligne Mariela De Ferrari [3], dans les représentations du monde professionnel, comme dans celui de la formation professionnelle, le français est souvent considéré comme une compétence sociale ou scolaire, et lorsqu’elle est insuffisante pour l’exercice d’un métier, le besoin linguistique est perçu comme une « difficulté », tout particulièrement lorsque l’écart se situe à l’écrit. La difficulté n’est alors vue qu’au travers du prisme de l’analphabétisme ou de l’illettrisme, bref du stigmate.
En formation professionnelle, changer de regard implique de considérer la compétence langagière au même titre qu’une autre compétence professionnelle, et non comme un handicap social. La compétence langagière s’intègre, comme les autres, dans un ensemble de compétences à avoir ou à acquérir. Les savoir-faire et savoirs liés à l’écrit sont d’ailleurs bien présents dans les référentiels métiers. Et ce sont bien des savoirs professionnels : « comprendre un plan », « symboles et légendes propres aux plans d’aménagement paysages », « se référer à une clé de détermination simple », etc.
Parce que la langue serait un prérequis ?
Dans les différents référentiels, on ne parle pas de pré requis et les compétences transversales ne sont pas nommées explicitement dans la description des unités de formation des référentiels de formation. Il est seulement indiqué qu’elles doivent être « travaillées de manière transversale aux UF ».
Ne pas nommer les compétences transversales, notamment les compétences langagières et les compétences mathématiques, renforce leur invisibilité. Pourquoi ce silence ? Soit parce qu’on considère qu’elles vont de soi. Soit parce qu’on considère ces compétences comme des prérequis. Soit parce qu’on se centre avant tout sur les tâches à réaliser « dans des situations simples et similaires à chaque prestation ».
Ainsi, dans une des situations d’évaluation proposées, c’est le chef d’équipe qui réalise la dilution d’un produit, alors que ce savoir est prévu dans le référentiel de compétence. Outre que l’on ne peut ainsi, me semble-t-il, atteindre les objectifs d’autonomie et de réflexivité recherchés, cela ne peut qu’alimenter les critiques d’une approche par compétences qui favoriserait la réussite de l’activité au détriment des savoirs et de leur construction.
On ne peut faire l’économie d’une réflexion à mener et d’un compromis à trouver entre une logique de formation (comprendre) et une logique de réussite de tâches professionnelles.
Parce que l’on n’est pas au clair sur ce que l’on entend « maîtriser les codes oral et écrit » ou « communiquer » et parce que l’on n’est pas au clair sur les questions pédagogiques ?
Certaines représentations supposent que, pour accéder à des compétences telles que « signaler un dysfonctionnement » ou « consulter les notices d’entretien et de maintenances des machines »… il faut passer par des apprentissages segmentés et ascendants – la lettre, la syllabe, le mot. Or, l’approche pédagogique de l’écrit qui s’avère pertinente et efficace correspond à une démarche interactive, traitant la complexité des documents professionnels (de l’entreprise, de la formation) dès les premiers acquis.
Mais cette approche se heurte parfois à des regards et à des pratiques installées dans le monde de l’insertion et de l’intégration cherchant à « repérer » ou à « situer » des profils d’apprenants pour les orienter dans des logiques « d’alphabétisation » ou « de lutte contre l’illettrisme ». Ces approches risquent d’inscrire les apprentissages dans des logiques de « niveau » ou de « savoirs de base » qui perdent de vue la complexité des situations auxquelles les salariés sont confrontés au quotidien.
Si l’on analyse les items des référentiels de formations sous l’angle des compétences langagières [4] en les classant en « comprendre à l’oral » « communiquer à l’oral » « comprendre à l’écrit » et « communiquer à l’écrit », on obtient le résultat suivant (pour le référentiel « ouvrier/ouvrière semi-qualifié/e en entreprise de création, entretien et aménagement parcs et jardins », pris ici à titre d’exemple, comme exemplatifs des autres référentiels).
Comprendre à l’oral
- Respecter les consignes reçues.
Ne faudrait-il pas ajouter ce qui permet d’apprendre et de se former ? Soit :
- les conseils,
- les informations,
- les exposés ou activités en lien avec la formation et notamment l’acquisition connaissances scientifiques, nombreuses dans ce référentiel.
Communiquer à l’oral
- Communiquer les anomalies au chef d’équipe
- Informer le chef d’équipe des pannes
- Rendre compte de ses observations
- Interpeller le responsable en cas de doute ou d’erreur
Le référentiel ne précise pas si ces savoirs faire sont nécessaires uniquement à l’oral ou si ils sont aussi mobilisés à l’écrit.
Comprendre à l’écrit
- Se référer à une clé de détermination simple
- Lire les étiquettes des plantes
- Lire les symboles repris sous les étiquettes des plantes
- Pictogrammes relatifs à la sécurité
- Significations des sigles de dangerosité d’utilisation
- Respecter les notices d’utilisation des produits phyto, amendements, fertilisants
- Consulter les notices d’entretien et de maintenances des machines
- Comprendre un plan
- Symboles et légendes propres aux plans d’aménagement paysages
Ne faudrait-il pas ajouter ce qui permet d’apprendre, de se former ? Soit :
- Les supports écrits liés à l’acquisition des connaissances scientifiques telles que le cycle végétatif, la composition des sols, etc. ?
Cet exercice montre combien ces types d’écrits sont variés et mobilisent des « codes » multiples, qui peuvent être transversaux mais sont le plus souvent liés au métier ou à un centre d’intérêt spécifique.
Les obstacles à la lecture d’une flore, même simple, ne se situent pas au niveau du b.a. b.a, mais bien au niveau des savoirs scientifiques et culturels d’une part, et aux raisons de lire, ici une flore, d’autre part. Ce qui ne peut se travailler que dans un cadre – ici professionnel – qui implique ce savoir-faire.
Il doit aussi nous interpeller sur la différence entre le niveau de responsabilité et d’autonomie visée et la complexité de ce qui est demandé en compréhension écrite. Que se passe-t-il réellement dans l’exercice du métier ?
Communiquer à l’écrit
- Prendre des mesures et participer à la transcription d’un plan
Avec ces seuls items de type mathématique, la communication écrite ne peut intervenir comme prérequis ! Ce qui ne veut bien entendu pas dire que la formation ne doit pas se donner comme objectif de permettre aux stagiaires d’acquérir la maîtrise de l’écrit, à partir de la verbalisation et l’analyse des situations de formation professionnelle.
En conclusion, comme l’Interfédé le précise, il me parait indispensable de poursuivre le travail sur les référentiels, par ailleurs très intéressant, en approfondissant l’analyse des compétences langagières, mathématiques et scientifiques nécessaires et la manière de permettre leur acquisition dans le cadre de ces formations.
Catherine Stercq,
conseillère et experte à Lire et Écrire Communauté française.