Pourquoi les formateurs emmènent-ils leur groupe au cinéma ? Préparent-ils la vision des films ? Y reviennent-ils ensuite dans leurs cours ? Utilisent-ils les fiches pédagogiques proposées par le groupe de travail Image et interculturel de Lire et Écrire Bruxelles ? Comment voient-ils les réactions des apprenants ? Etc.
Au total, nous avons récolté une soixantaine de réponses. En voici les grandes lignes.
En venant avec leur groupe aux Jeudis du cinéma, les formateurs poursuivent essentiellement des objectifs linguistiques. À la question Quels sont vos objectifs lorsque vous venez aux Jeudis du cinéma ?
, nous avons récolté le type de réponses suivantes :
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Pas plus que susciter la parole et les échanges.
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La langue en priorité. Enrichir le vocabulaire : c’est un outil pratique, attrayant, pour acquérir de nouveaux mots.
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D’abord voir un film en français, et puis se familiariser avec un lieu, découvrir différents thèmes. Elles sont obligées d’écouter rien que le français et cela ne fait pas de mal.
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Être capable d’écouter, de comprendre le français.
Un autre objectif apparait dans les réponses des formateurs, celui de faire participer leur groupe à la vie sociale et culturelle, de favoriser l’intégration :
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Sortir, mieux connaitre la ville.
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Sortir de l’association, apprendre à se déplacer.
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Mieux leur faire connaitre leur pays d’accueil.
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Les femmes aiment sortir, ça fait partie de leur insertion.
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Comme j’annonce dès le début que dans l’apprentissage sont inclues des sorties (musées, cinéma), eh bien elles en redemandent finalement.
Quant aux réactions des apprenants sur l’activité cinéma, voici ce qu’en disent les formateurs :
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Pratiquement, c’est facile… mais toutes ne désirent pas y aller, ou disent (parfois prétendent ?) que leur famille (mari surtout) n’est pas d’accord. De toute façon, au départ, toutes disent
oui
, puis très peu viennent. -
J’arrive pas à susciter l’envie ; barrières, réticences. Les Marocaines, musulmanes… finalement disent
non
. Peur de l’endroit, représentation du ciné, endroit de débauche… -
Dans la culture maghrébine, le cinéma est vu comme le lieu de rencontre où on va pour s’embrasser, ce n’est pas le cinéma comme les personnes d’ici le voient. Pour les femmes qui suivent le cours, aller au cinéma c’est d’abord
non, non, non
. C’est très courant comme mentalité.
Les formateurs témoignent également de réactions négatives des apprenantes qui ont assisté à une ou plusieurs projection(s) :
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Elles se sont senties agressées, leur culture était critiquée.
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Elles disent qu’elles ne peuvent pas voir ça dans une salle, avec les autres.
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Choquées par des scènes qu’elles jugent inappropriées. Femmes nues dans le hammam : les apprenantes ont été très embarrassées car il y avait des hommes dans la salle ; certaines ont voulu sortir. Les femmes “blanches” seins nus sur la plage ont moins choqué que la scène dans le hammam.
Une de nos motivations, au sein du groupe de travail, consistait à anticiper ces chocs culturels que pouvaient provoquer la vision de certaines scènes de films en les travaillant, les abordant avec les apprenants avant de venir les voir à l’Arenberg. Force a été de constater qu’aucune association n’avait utilisé les fiches transmises par le groupe de travail. Face à ces difficultés, les formateurs préfèrent opter, en lien avec leur objectif de renforcement linguistique, pour des films plus légers et sans scène pouvant choquer leur public. Ceux qui connaissent un film ou le visionnent avant la projection ont tendance à prévoir les réactions des apprenants (souvent des apprenantes) et, craignant le choc culturel, préfèrent l’éviter en écartant le film en question.
En conclusion, ce qui ressort de l’enquête c’est l’existence d’un décalage entre les objectifs du groupe de travail et celles des formateurs qui poursuivent principalement des objectifs linguistiques et d’intégration sociale.
Anne Tamignaux,
pôle pédagogique – Lire et Écrire Bruxelles.