Qu’est-ce qu’une tension selon Jacques Cornet ? La tension est composée de deux pôles positifs, qui sont tous deux souhaitables mais qui pourtant s’excluent mutuellement. Il faut donc inventer des manières de poursuivre les deux pôles simultanément.
1re tension : la tension entre structures et cultures
Si on se place du côté du pôle structures sociales, on se place du point de vue de l’analyse de la société en tant que productrice d’inégalités, société où la lutte des places ne cesse de se renforcer et où existe une liaison très forte entre filières de formation et professions. D’un point de vue structurel, l’école est là pour préparer les jeunes à la division du travail telle qu’elle existe dans notre société. Il en résulte que les structures sociales attendent de l’école qu’elle ne fasse pas réussir tout le monde, mais qu’au contraire elle crée de l’échec puisque c’est l’échec des uns qui valorise la réussite des autres.
Si on se place maintenant sur l’autre pôle, le pôle cultures, on va miser sur la formation pédagogique des enseignants pour mieux faire réussir les enfants les plus faibles.
Les apprenants sont également convaincus qu’il faut agir au niveau de la formation des enseignants :
- « Des enseignants mieux formés : une meilleure formation et plus longue pour les enseignants. »
En mettant les deux pôles en présence, dit Jacques Cornet, on constate que réfléchir uniquement à la formation des enseignants et ne pas travailler parallèlement à la modification des structures ne changera rien à l’échec scolaire, puisque structurellement l’école est là pour faire le contraire. La formation des enseignants est indispensable mais elle est insuffisante.
2e tension : à qui revient la responsabilité de l’échec ?
Cette tension est un cas particulier de la tension précédente. Ceux qui se placent sur le pôle situé dans la partie gauche du graphique vont considérer que c’est le système scolaire qui est responsable de l’échec scolaire, en particulier de l’échec des enfants de milieu populaire.
Et ceux qui se placent sur l’autre pôle, situé à droite sur le graphique, vont imputer cette responsabilité aux enseignants ou aux apprenants. Ils pensent que si les enseignants faisaient mieux leur boulot, les enfants réussiraient mieux.
Mais, en même temps, le système scolaire étant là pour reproduire les structures sociales, on sait que les écoles essaient de se positionner les unes par rapport aux autres et développent des stratégies pour attirer un public spécifique.
Ce que disent les apprenants du fonctionnement social de l’école et du système scolaire, soit en ce qui concerne les deux premières tensions :
- « Pour moi l’école ça craint. »
- « Pour moi c’est une institution qui n’arrive pas à faire réussir tous les enfants. »
- « Pour moi c’est le fond de la classe. »
- « Pour moi c’est l’exclusion. Richesse et pauvreté. »
- « Quand il y a un problème, à la place de le résoudre, on met dans l’enseignement spécial. »
- « Au lieu de t’apprendre, ils te désapprennent ! »
- « C’est clair qu’il y a une discrimination sociale à l’école. »
- « On laissera toujours l’avantage à ceux dont les parents sont riches. »
- « Il y a trop d’orientations en fonction des classes sociales. » et « Le problème, c’est que c’est les autres qui décident de ton orientation. »
- « Il y a un véritable forcing sur le redoublement ! »
Dans leurs revendications, les apprenants donnent des pistes pour modifier le système et les structures qui reproduisent les inégalités, dans un but d’accès à un enseignement de qualité et de réussite pour tous :
- « Une école réellement gratuite. »
- « Améliorer le système des bourses d’études. »
- « Mieux utiliser l’argent. »
- « Un tronc commun plus important, plus long, plus diversifié avec les mêmes cours pour tous les élèves. » [2]
- « Simplifier le système scolaire parce qu’il engendre et renforce les inégalités. »
- « Pas de redoublement, davantage de remédiation. Le redoublement est inefficace, cher et stigmatisant. »
- « Pas d’école élites et pas d’écoles poubelles. Créer une réelle mixité sociale dans toutes les écoles. »
- « Une équipe de professionnels : plus d’enseignants, de logopèdes, d’éducateurs, de PMS. »
- « Des petites classes ou deux professeurs par classe. »
- « Ne pas trop vite orienter vers l’enseignement spécialisé. »
- « Lutter contre l’absentéisme. »
- « Lutter contre l’exclusion. »
Tout en demandant que les pouvoirs publics fassent respecter la loi, pour protéger enfants et parents, des pratiques abusives de certaines écoles :
- « Faire respecter la loi : lors de l’inscription en 1re secondaire, le directeur ne peut pas demander le bulletin. Il faut aussi avoir la possibilité de dénoncer. »
3e tension : l’échec comme résultat d’une domination, de difficultés cognitives spécifiques ou des différences culturelles
Si on se place du point de vue de l’analyse des structures sociales comme on l’a fait dans la 1re tension, si on pense que le système scolaire répond aux besoins de ces structures, on en arrive à expliquer l’échec scolaire des enfants de milieu populaire comme le résultat d’une domination sociale qui s’exerce à travers l’école. Former des enseignants qui puissent lutter contre l’échec, c’est donc d’abord les former pour qu’ils deviennent des acteurs politiques capables de résister à la domination.
En même temps, on peut croire que les difficultés des enfants de milieu populaire sont des difficultés d’ordre cognitif spécifiques. Si on veut répondre à ces difficultés de manière didactique, dans la formation des enseignants, on va mettre l’accent sur ce qui va leur permettre de devenir de bons techniciens, capables de repérer les difficultés cognitives des enfants et d’y répondre.
Les apprenants, s’ils sont conscients du rôle de l’école dans la domination sociale, entendent également que les enseignants soient capables d’apporter une remédiation à l’élève en difficulté :
- « Reconnaitre la difficulté dès qu’elle arrive. »
- « Savoir aider et orienter dans la classe. »
- « Travailler plus, autrement, avec ceux qui sont en difficulté. »
- « Une évaluation qui doit servir à comprendre le niveau de difficulté et à mettre en place des dispositifs pour remédier rapidement. »
On peut aussi considérer que ce ne sont ni la domination ni les difficultés cognitives qui sont la cause de l’échec des enfants de milieu populaire mais que c’est l’incompatibilité entre la culture scolaire et la culture populaire qui explique ces difficultés [3]. Dans cette perspective, l’objectif est de former les enseignants pour qu’ils deviennent des spécialistes des rapports au savoir et s’efforcent de rendre compatibles des traits culturels qui ne le sont pas au départ, c’est-à-dire que les enseignants vont devoir essayer de rapprocher les cultures en présence. Ici encore, plus on est du côté de la lutte contre la domination, moins on travaille sur les cultures, et inversement.
Quand les apprenants disent que l’enseignant idéal doit être ouvert à la différence, c’est une demande de prise en compte des cultures populaires :
- « Valoriser les cultures, les religions, les milieux culturels. » et « S’ouvrir aux différentes cultures. »
- « Donner la parole aux élèves, écouter ce qu’ils ont à dire. »
- « Être conscient de ses propres préjugés » et « Pas de rejet, pas de préjugé. »
- « Veiller à une mixité sociale dans la classe. »
- « Comprendre le vécu des familles. »
- « Une relation continue et de confiance entre l’école et les familles : s’ouvrir au langage de l’autre. »
On observe également une tension entre le fait de travailler sur les rapports au savoir et remédier aux difficultés cognitives, même si ces deux pôles se trouvent tous les deux en tension avec la lutte contre la domination sociale.
4e tension : la tension entre transformation et adaptation
Dans cette tension, on voit qu’on peut former les enseignants à transformer l’école ou, au contraire, à s’adapter au milieu scolaire tel qu’il est. Si on ne faisait que le premier, les écoles refuseraient de prendre les étudiants en stage ; et si on ne faisait que le second, ce serait le statuquo. Il faut donc travailler sur les deux plans mais, selon Jacques Cornet, comme pour les autres tensions, ces deux pôles sont incompatibles.
5e tension : se centrer sur les personnes à former ou sur les objectifs visés
Si on se centre sur les objectifs visés, on va proposer aux futurs enseignants une série de cours spécifiques pour les amener à faire face à un maximum de situations – par exemple un cours sur tel type de dysorthographie – et en faire des spécialistes. On va ainsi multiplier les contenus (augmenter le nombre de petits cours), ce qui aboutira à réduire encore le taux de réussite dans l’enseignement supérieur pédagogique [4]. Il y a actuellement impossibilité, en tenant compte des moyens disponibles pour la formation des enseignants, de se centrer à la fois sur les candidats entrants en école supérieure et sur les objectifs pédagogiques à atteindre dans les écoles primaires et secondaires.
C’est au niveau de cette 5e tension que Jacques Cornet développe une analyse des contradictions dans la formation initiale des enseignants, contradictions qu’il considère comme pratiquement insurmontables. Il met par conséquent en avant la nécessité d’opérer des ruptures importantes en matière de formation des enseignants. Tenir compte à la fois du public qui rentre en formation et des objectifs visés demande en effet, selon lui, des conditions de formation tout à fait particulières.
1re rupture : cesser de se centrer sur la réussite des examens pour s’impliquer subjectivement dans la formation
Pour les étudiants, se former c’est étudier pour les examens. Pour Jacques Cornet – et c’est ce qu’il dit à ses étudiants [5] – la meilleure façon d’échouer c’est d’essayer de réussir. Car on ne peut se former sans s’impliquer subjectivement, profondément, sans entrer dans un processus de transformation personnelle. Cette rupture est préalable à toutes les autres qui ne seront possibles que si cette 1re rupture est atteinte.
2e rupture : ne plus considérer le savoir comme un donné mais comme quelque chose de construit
La majorité des étudiants, au moment de leur entrée en formation, considèrent le savoir comme un donné, comme quelque chose que quelqu’un quelque part a découvert, qui lui est tombé du ciel comme la pomme sur la tête de Newton. Ce savoir qu’il va recevoir, il va ensuite devoir le donner à son tour. Or le savoir est un construit, avec toutes les implications épistémologiques que cela suppose. Amener l’étudiant à passer du donné au construit est également une rupture importante à opérer en formation des enseignants.
Les apprenants disent que l’enseignant doit « expliquer le pourquoi de chaque savoir, son histoire ». N’est-ce pas une autre manière de dire que le savoir ne doit pas être présenté comme un donné qui serait tombé du ciel mais comme quelque chose de construit ?
Et ne vont-ils pas dans le même sens quand ils disent que l’enseignant doit « savoir se remettre en cause : reconnaitre ses erreurs, savoir dire “je ne sais pas”, briser la relation de pouvoir de “celui qui sait tout” » ?
3e rupture : prendre conscience que le métier d’enseignant n’est pas d’enseigner mais de faire apprendre
Les jeunes qui arrivent en formation pour devenir enseignant viennent avec le projet d’enseigner. Il va donc falloir leur apprendre qu’être enseignant ce n’est pas enseigner, c’est faire apprendre. Autre rupture importante à opérer…
Les apprenants ne partagent-ils pas cette position quand ils disent que l’enseignant doit « savoir comment on apprend », c’est-à-dire comprendre « ce qui se passe dans le cerveau quand on apprend » ? Ou quand ils disent qu’on apprend « en faisant, en refaisant, en cherchant, en essayant, en répétant… » ?
4e rupture : voir l’échec non pas comme résultat des capacités de l’élève mais comme résultat des situations d’apprentissage
Quand les élèves sont en situation d’échec, la tendance est d’expliquer l’échec par les capacités intrinsèques de l’élève. En formation des enseignants, il s’agira de faire passer les étudiants à une autre posture face à l’échec, celle qui consiste à interroger les situations d’apprentissage, à se demander : « dans ce que j’ai mis en place, qu’est-ce qui fait que le gosse a raté ? ». Ce qui est aussi un bouleversement complet…
5e rupture : passer d’une vision en termes d’égalité des chances à une vision en termes de lutte contre les inégalités
La majorité des étudiants pensent que la réussite scolaire est due au mérite puisqu’on est dans un système qui garantit l’égalité des chances. Or ce n’est pas possible de lutter contre l’échec scolaire si on reste dans cette posture. Ici encore, on doit réaliser une rupture qui est, elle aussi, énorme…
Ce que les apprenants attendent de l’enseignant quant à la compréhension des structures sociales :
- « Comprendre le fonctionnement de la société, ses inégalités, son déterminisme social. »
- « Le rôle du prof c’est de lutter contre cela. »
- « Faire des stages en entreprises, au CPAS… pour se rendre compte de la vie dans d’autres endroits que seulement l’école. »
Ils demandent aussi que l’enseignant s’inscrive dans une vision en termes de lutte contre les inégalités :
- « Avoir comme but que tous les élèves réussissent. »
- « Voir tous les enfants, surtout les invisibles. »
- « Faire ressentir la réussite, trouver le point fort de chaque élève. »
- « Valoriser l’apprentissage. »
- « Communiquer de manière constructive avec les parents, avec les élèves, même quand quelque chose se passe mal. Communiquer aussi quand il y a de bonnes choses. »
- « Être juste, considérer tous les élèves de manière égale, mais en tenant compte de leurs différences et de leurs particularités. »
Faut-il s’étonner que c’est sur ce point que les apprenants s’expriment beaucoup quand ils parlent du prof idéal, eux qui sont les relégués d’un système qui met en avant l’égalité des chances et la réussite par le biais de la méritocratie, héritage des années 60-70 [6] ?
D’autres ruptures pourraient encore être ajoutées, ruptures qui sont toutes également nécessaires si on veut lutter contre les inégalités à l’école en mettant le focus à la fois sur les candidats entrants et sur les objectifs visés.
Opérer toutes ces ruptures nécessite, pour Jacques Cornet, une transformation identitaire forte chez les (futurs) enseignants. Car opérer ces ruptures, c’est changer d’identité, c’est devenir quelqu’un d’autre. Cela se fait dans la souffrance et les larmes. Pour que cette souffrance et ces larmes puissent se transformer en plaisir, il faut que cela se fasse avec d’autres. Il faut pouvoir s’appuyer sur un collectif et s’identifier à un projet commun. Cela suppose donc de concevoir la formation comme un projet collectif acculturant où ensemble on essaie de se transformer. Cela ne pourra pas se faire dans les auditoires, quel que soit le nombre d’années que comportera la formation initiale des enseignants.
Peut-être qu’après avoir réalisé sa transformation identitaire dans la souffrance et les larmes et retrouvé du plaisir dans un projet collectif, l’enseignant pourra – comme le demandent les apprenants – « être passionné par son métier, aimer la matière qu’il enseigne », « motiver les élèves », « donner du plaisir à apprendre » et saura « intéresser sa classe : donner du sens aux activités, insister sur la découverte, le travail collectif ». Pour donner envie, plaisir d’apprendre – mais aussi sens à l’effort demandé – à tous les enfants, et en priorité à ceux pour qui l’école risque d’être synonyme d’échec et d’exclusion si rien ne change.
6e tension : la tension entre projets collectifs et projets individuels
Actuellement, la tendance est d’accorder la priorité au projet individuel de l’étudiant [7]. Cela signifie qu’on mise sur les ressources psychologiques, économiques et culturelles – mais aussi politiques et sociales – de chacun, ressources qui le rendront capable de gérer sa formation. Cependant, si on se place dans une perspective de changement, il faut aussi miser sur les projets collectifs.
Les apprenants sont eux aussi conscients que l’enseignant ne peut uniquement poursuivre un projet personnel, travailler seul au sein de son école, qu’un projet collectif doit être mené et qu’il faut travailler en équipe :
- « Accepter la collaboration avec d’autres : d’autres enseignants ou d’autres personnes, dans l’école et en dehors de l’école. »
- « Les directions doivent accorder aux enseignants ce temps de travail. »
7e et dernière tension : la pédagogie est-elle politique ou technicoscientifique ?
D’un côté, on dira que la pédagogie est un sport de combat et que c’est d’abord une formation politique qu’il faut donner aux candidats enseignants. De l’autre côté, on dira que la pédagogie a une forte dimension technicoscientifique, qu’il y a une série de connaissances que le candidat enseignant doit acquérir et dont il doit poursuivre l’acquisition à travers la formation continuée car les connaissances en pédagogie et en didactique de l’enseignement se développent sans cesse. Comme pour les autres tensions, il convient, dit Jacques Cornet, de poursuivre les deux pôles à la fois, tout en sachant qu’ils sont incompatibles. Selon lui, la meilleure preuve que la pédagogie est politique c’est que le côté gauche du graphique des tensions, auquel s’ajoute la bulle sur l’incompatibilité des cultures, se situe également à gauche sur l’échiquier politique…
Enfin, au centre du graphique des tensions, se trouve le principe d’isomorphisme. Ce principe, incontournable en formation des enseignants, signifie qu’il existe une relation entre ce qu’on a soi-même vécu quand on était en formation et ce que l’on fera quand on sera enseignant, c’est-à-dire que, dans leur classe, les enseignants ne feront pas ce qu’on leur a dit de faire quand ils étaient étudiants mais ils feront ce qu’on a fait avec eux. Il convient donc de faire vivre aux étudiants des activités et des méthodes que l’on souhaite les voir mettre en œuvre dans leurs propres actions de formation. Pratiquer l’échec et l’exclusion dans l’enseignement pédagogique c’est tout le contraire de ce qu’il faut faire pour les préparer à combattre l’échec et l’exclusion dans leur classe, à pratiquer la pédagogie de la réussite pour tous. Le paradoxe est qu’on est ici dans le cadre d’une formation professionnalisante et qu’il faut s’assurer que les étudiants ont acquis les compétences qui leur permettront d’exercer le métier d’enseignant, ce qui entraine automatiquement une sélection. Cette sélection est donc nécessaire mais elle est en totale contradiction avec la volonté de former des enseignants qui vont viser la réussite de tous.
Concernant les méthodes à mettre en œuvre dans les classes, les apprenants ont des idées :
- « Changer de méthodes, les adapter, les diversifier pour répondre aux différences entre les enfants : pédagogie différenciée, apprentissages créatifs, classes en cercle… »
- « Adapter sa méthodologie à la classe. Avoir des outils adaptés aux différents niveaux des enfants. »
- « Bien organiser le travail. »
De telles orientations sont-elles mises en place dans la formation des enseignants ?
Si les futurs enseignants étaient amenés à travailler ensemble au cours de leur formation, plutôt qu’à poursuivre chacun leur propre réussite, souvent dans un esprit de compétition et dans une logique du chacun pour soi, probablement seraient-ils plus à même de répondre à cette demande des apprenants :
- « Organiser du travail en groupe. »
- « Travailler à l’entente et à la solidarité dans la classe. »
- « Créer une cohésion dans la classe. »
Les apprenants attendent également que les enseignants possèdent certaines qualités humaines :
- « Être à l’écoute. »
- « Être attentif. »
- « Être encourageant et rassurant. »
- « Savoir se faire écouter. »
- « Veiller à ce qu’il n’y ait pas de violence, ni physique, ni psychologique, ni morale, ni attitudes racistes. »
- « Avoir des notions de psychologie. »
Les enseignants n’auraient-ils pas plus facilement ces qualités s’ils les avaient rencontrées chez leurs professeurs au cours de leurs études pédagogiques ?
Un plaidoyer pour une école de la réussite pour tous
L’analyse de Jacques Cornet et les propos des apprenants montrent conjointement qu’il faut agir sur le système scolaire et que ce système est en lien avec les structures sociales (la reproduction des inégalités sociales par l’école). Ils disent également conjointement qu’il faut aussi agir au niveau de l’école, à l’intérieur de l’école et de la classe. Qu’il faut à la fois transformer et adapter, non pas adapter les élèves à l’école mais adapter l’école à la diversité sociale et culturelle des élèves. Jacques Cornet affirme que cette double action est difficilement réalisable – car il y a incompatibilité entre les deux niveaux – mais qu’elle est néanmoins souhaitable et nécessaire. Il lie cette incompatibilité aux ressources disponibles et aux objectifs politiques auxquels ces ressources sont prioritairement affectées. Nous pensons également qu’il ne pourra pas y avoir de réussite scolaire pour tous si on ne travaille pas sur les deux plans simultanément. Et que c’est une priorité dans laquelle il faut s’engager et se mobiliser sans plus attendre. C’est d’ailleurs dans cette voie que Lire et Écrire s’est engagée depuis de nombreuses années.
En étant membre de la Plateforme contre l’échec scolaire depuis son origine, et particulièrement en participant à la rédaction de l’Appel au débat en vue d’une refondation de l’École, Lire et Écrire s’est clairement positionnée pour une transformation radicale du système scolaire. Par ailleurs, les travailleurs et les apprenants sont engagés sur le terrain à une sensibilisation des enseignants, non seulement à l’iniquité du système, mais aussi à ce que chacun peut faire dans sa classe pour la prise en compte des élèves les plus faibles, en vue de favoriser leur apprentissage plutôt que de renforcer la relégation. C’est à quoi s’attachent les agents de sensibilisation quand ils vont par exemple faire de la prévention dans les écoles normales [8]. C’est ce que font certaines locales ou régionales de Lire et Écrire – d’autres associations d’alpha également – qui mènent des actions dans ou avec l’école : groupes d’alpha pour les parents d’élèves, projets menés en collaboration avec l’école [9]… C’est ce que disent et revendiquent aussi les apprenants au terme de leur réflexion sur l’école.
En arriver à cette prise de conscience et à cette mobilisation ne s’est pas fait spontanément. Passer d’une attitude en termes de « je suis responsable » ou « mes parents sont responsables de mon échec scolaire », ou même encore de « c’est la faute à Monsieur Y, mon professeur de xe année, que je n’ai pas pu apprendre à lire », à une posture remettant en cause le système n’est pas évidente. Il faut pour cela d’abord se rendre compte qu’on n’est pas le/la seul(e) à avoir vécu la relégation et l’échec à l’école. C’est ce que permet l’alphabétisation puisque des personnes ayant des vécus semblables se retrouvent dans un même groupe de formation et peuvent réfléchir ensemble, avec leur formateur/trice, à la question : « pourquoi nous ? ». Passer ensuite à une analyse plus globale au niveau du fonctionnement des structures n’est souvent possible que si un travail de réflexion plus approfondi est mené, s’il y a confrontation du vécu personnel, non seulement avec d’autres vécus mais aussi avec des données objectives comme la hiérarchisation des filières et les processus de relégation, les statistiques de l’échec scolaire et du redoublement en lien avec différentes variables socioéconomiques, etc. [10] Cette analyse permet aux apprenants de prendre conscience de la nécessité de se mobiliser collectivement contre l’échec scolaire, de porter des revendications auprès des responsables politiques. Comme le disaient les apprenants lors de la formation École, échec scolaire et inégalités sociales : « Le changement vient toujours des gens qui sont dans des positions difficiles et qui revendiquent des choses ; ce ne sont pas les classes privilégiées qui vont bouger. »
C’est par un front commun rassemblant les personnes qui sont dans des positions difficiles et les personnes qui militent pour lutter contre l’échec scolaire, et plus largement appellent à une refondation de l’école, qu’on pourra créer un rapport de force susceptible de faire le poids face aux courants conservateurs (ceux qui entendent conserver les privilèges des plus nantis) et faire remonter les revendications au rang des priorités politiques.
C’est également en travaillant aux deux niveaux – le niveau macro (les structures) et le niveau micro (ce qui se passe au sein de la classe) – que l’ascenseur social individuel pourra un jour se transformer en ascenseur collectif, que l’école ne sera plus un centre de tri préparant les jeunes à la division sociale du travail mais un lieu de construction de savoirs socialisés auquel chacun apportera sa contribution.
Pour que l’école devienne ce que les apprenants en attendent aujourd’hui :
- « Pour moi l’école c’est le début de la vie. »
- « Pour moi c’est important pour la vie toute entière. »
- « Pour moi c’est le savoir, les connaissances. »
- « Pour moi c’est l’avenir pour tout le monde. »