Pour celles et ceux qui ne se sont jamais vraiment interrogé [1], d’emblée l’expression bouscule la représentation traditionnelle en inversant la relation formateur rice-formé e et en questionnant les savoirs jugés dignes d’apprentissage. Elle invite chacun e à un nouvel imaginaire pour se représenter autrement l’espace de formation.
es sur cette « théorie-pratique » qu’est la pédagogiePour celles et ceux qui développent des pratiques d’alphabétisation, l’énoncé « apprendre des apprenant [2] ? En quoi le choix des méthodes, des outils, des techniques… que je propose vont-ils favoriser – ou pas – des dynamiques d’échanges, de coconstructions dans le groupe, vont-ils permettre – ou pas – le renforcement de l’estime de soi, la confiance et l’autonomie ?…
es » peut jouer comme un mantra, un instrument pour penser la formation autour de questions fondamentales et tout à fait concrètes : qu’est-ce que j’ai besoin de savoir des apprenant es pour construire le dispositif de formation, l’adapter et l’évaluer ? Qu’est-ce que j’ai besoin de comprendre ? Quelle posture adopterLa limpidité de la formulation permet d’entrer rapidement dans une pratique d’alphabétisation, sans le « passage préalable et obligé » par les théories de l’apprentissage et les pédagogies. C’est le cas pour la grande majorité des formateur [3].
rices du secteur de l’alphabétisation en Fédération Wallonie-Bruxelles dont la professionnalisation se construit à partir du terrain d’actionLimpidité ne signifie cependant pas simplicité. À l’évidence, les contributions à ce Journal de l’alpha sont autant de cheminements, non pas compliqués mais bien complexes. Les pratiques qui y sont partagées bousculent parfois et toujours transforment les acteur
rices impliqué es. En parcourant les contributions, en s’attardant sur l’une plutôt que sur l’autre, en tant que lecteur rice, nous sommes nous aussi invité es à voir et à réfléchir autrement.Dans ce foisonnement, deux fils se tissent, se défont et se ré(en)mêlent l’un à l’autre : celui de l’égalité et celui des savoirs. C’est au cœur même de l’alphabétisation populaire que se travaillent les questions liées à la relation entre savoirs et pouvoirs.
Quels sont les savoirs que les apprenant
es amènent en formation ? Lesquels apparaissent par surprise, lesquels sollicitons-nous ? Ce sont en général des savoirs d’expériences de vie, manuels, culturels, techniques ou technicopratiques… que les apprenant es mettent en évidence. Ces savoirs qui, dans la société scolarisée, lettrée et technologique qui est la nôtre, sont peu estimés, voire méprisés, et ne sont pas porteurs de reconnaissance sociale. Par ce biais, les rapports sociaux inégalitaires s’alimentent et s’autojustifient d’inégalités culturelles. Dans un tel contexte, à travers l’attention que nous y accordons – ou pas – en formation, dans notre association ou au niveau institutionnel, comment jugeons-nous ces savoirs, comment différencions-nous l’intéressant, le nécessaire, l’anecdotique ? Comment ces savoirs jouent-ils et appuient-ils – ou pas – les processus à la fois d’émancipation, de changement et d’apprentissage de ces si « socialement normés » langages fondamentaux ?Dans cette dernière question, il y a une tension spécifique à l’alphabétisation populaire à laquelle plusieurs éclairages différenciés sont apportés dans ce Journal de l’alpha. Savoirs d’expériences et savoirs académiques n’ont pas la même valeur dans notre société. La valeur est relative à la fois aux hiérarchies sociales, aux milieux de vie et aux situations de vie. Sur une ile déserte, mieux vaut savoir faire un feu que lire et écrire… et on peut parier que celui ou celle qui sait faire un feu dans un groupe de naufragéKoh-Lanta) aura un statut envié !
es (ou de participant es àComme il y a des inégalités sociales, il y a des inégalités de savoirs et de pouvoirs d’action. C’est le sens même de l’alphabétisation populaire que d’accompagner des processus de prise de conscience, d’analyse critique et d’action pour plus d’égalité [4] par l’apprentissage des langages fondamentaux. Ceci implique un processus de compréhension critique des langages et de leurs « normes » pour pouvoir les utiliser, les transformer ou les rejeter…
Sylvie Pinchart, directrice,
Lire et Écrire Communauté française.