Près de 300 organisations des secteurs social et socioculturel au sens large, soutenus par des acteurs du monde académique, demandent deux mesures essentielles pour un plan de déconfinement social. Ensemble du Nord et du Sud du pays, ils exigent des gouvernements responsables, fédéral et fédérés, et demandent au Conseil National de Sécurité interfédéral d’intégrer à leur stratégie de soutien économique et de soulagement des familles, l’impérative urgence d’un plan de déconfinement social au sens plein du terme. Celui-ci doit s’appuyer sur deux aspects :
- Une aide directe financière mensuelle urgente du fédéral vers les ménages appauvris, avec un principe de confiance : une allocation mensuelle Covid19. Une aide financière directe vers les ménages exposés est cruciale aujourd’hui, comme le sera dès demain le rehaussement des allocations sociales et revenus au minimum au-dessus du seuil de pauvreté, et le renforcement de la sécurité sociale.
- La planification d’un déconfinement organisé avec et par les acteur.trice.s concerné.e.s qui représentent ces populations vulnérables, et leur équipement et ce, dans une synchronisation avec les entités fédérées, à l’instar de ce qui se passe pour l’enseignement, les crèches et garderies et le sport.
Depuis le 13 mars 2020, la Belgique vit au rythme du COVID. Le confinement, nécessaire pour ralentir la progression du virus, atterrit brutalement sur un terreau d’inégalités. Le confinement révèle implacablement cette pauvreté, le non-accès aux droits de base vitaux pour une part importante de la population, l’oubli de vulnérabilités diverses. Les derniers chiffres datant d’avant la crise sanitaire indiquaient que 16,4% de la population belge, soit plus de 1,8 million de personnes au total (!) vivaient avec un revenu inférieur au seuil de pauvreté, le nombre le plus élevé depuis le début des mesures systématiques dans notre pays. Cette crise sociale déjà pré-existante ne sera qu’exacerbée par la crise Covid. Encore plus de personnes seront poussées dans la pauvreté et leur survie sera encore plus difficile : l’ERMG établit à près de 30% la part de la population en perte nette de revenus depuis le début de la crise. La perte de ressources financières se double de l’angoisse de cette réalité et du stress engendré par cette crise sanitaire sur la dégradation de la santé mentale individuelle et collective.
Le « social » dans le champ de l’économie du travail d’abord, des familles ensuite
Jusqu’à présent, le gouvernement fédéral a pris des mesures tentant d’éviter qu’à un incendie sanitaire succède le désert économique. Entreprises, travailleur.euse.s et indépendant.e.s sont soutenu.e.s, variablement, par des mesures énergiques organisées sur la base d’un principe de confiance. Le chômage temporaire a été renforcé et a conduit à des assouplissements pour les chômeur.euse.s, notamment pour éviter l’enchainement des licenciements secs qui précipiterait la crise. Mais d’une part, de nombreuses formes de travail précaires ont été oubliées de la protection du chômage temporaire - ALE, wijkswerk, accueillantes d’enfants, jobs étudiants, travail intérimaire, CDD arrivés à leur terme et non reconduits, diverses formes de travail d’artistes… ; de l’autre, pour les personnes déjà hors travail reconnu avant la crise et qui ne bénéficient que de très peu ou d’aucune mesure de soutien - personnes licenciées et chercheur.euse.s d’emploi, allocataires sociaux, sans-papiers, sans-abris, travailleur.euse.s du sexe… ; pour les 25,3% (!) de la population estimés avant la crise comme n’ayant pas de capacité à faire face à des dépenses imprévues, la crise plonge dans une précarité chaque semaine plus dure.
La mobilisation de la société civile a permis de convaincre de la nécessité d’un congé parental pour les familles où s’impose la difficulté de concilier travail à domicile et garde d’enfants en obligation scolaire. Mais ses montants et conditions (notamment, la nécessité de l’accord de l’employeur.euse) le rendent inaccessible aux travailleur.euse.s les plus précaires. Vu la dureté des efforts demandés à la population et le mécontentement qu’elle a manifesté quant au déséquilibre par rapport au champ économique, le Gouvernement a également autorisé, à certaines conditions, des rencontres physiques familiales et amicales. A cela s’ajoute l’ouverture limitée des écoles et la reprise tout aussi limitée d’activités sportives dans des clubs organisés, complémentairement aux crèches et garderies dans les écoles qui sont mises en place depuis les premiers jours de la crise.
Ces trains de mesures « sociales » s’appliquent toutefois avec un niveau de praticabilité relatif, mais surtout rencontrent très variablement les besoins des populations selon les conditions de vie inégalitaires préexistantes des personnes et familles (logement, localisation et espace extérieur, densité de population, mobilité, âge et santé des grands-parents, inscription dans un club ou encadrement par un coach sportif ou pas, perte de revenu, etc.)
Le « social »… des oublis purs et simple pour de nombreux secteurs
Bien des Essentiel.le.s (professionnel.le.s et citoyen.ne.s) n’ont cessé de prendre en charge des populations porteuses de vulnérabilités multiples et importantes et nécessitant notamment un hébergement. Si les personnes âgées en maisons de repos et le personnel qui les encadre ont fini par faire l’objet de l’attention nécessaire, c’est à la force d’un combat que les acteur.trice.s du handicap parviennent à se faire entendre. Mais que dire pour les populations et professionnel.le.s des autres nombreuses institutions de l’hébergement et du non-logement et sans statut ? Que dire par rapport à toutes les associations et les professionnel.le.s de l’action socioculturelle, de l’éducation permanente, du travail de quartier, de l’insertion sociale, etc ? Que dire par rapport aux aidants-proches de personnes âgées ou handicapées qui ont vu les aides habituelles (souvent déjà insuffisantes) réduites ou supprimées ? Les entités fédérées agissent comme elles peuvent, mais l’attention fédérale n’a pas été accordée à ces populations et ces acteur.trice.s pendant le confinement et ne leur est pas plus accordée pour l’organisation du déconfinement. Celles et ceux qui étaient déjà à la limite ou sous la limite, dans la pauvreté, l’isolement, la désaffiliation ou l’exclusion sociale, la débrouille, le non-droit, avant la crise épidémique, sont à présent au bord de la falaise.
Pour un réel déconfinement social qui parte des possibles des plus pauvres, des plus vulnérables, et des acteur.trice.s qui sont avec elles et eux sur le terrain
Un déconfinement social avec des impacts individuels, collectifs et sociétaux positifs, est celui qui part des rythmes et possibles des personnes vivant à la rue, des migrant.e.s en transit, des sans-papiers, qui contrecarre les risques pour les 10% de la population belge ne sachant ni lire ni écrire, qui fait échec aux difficultés de la fracture numérique, qui soulage les familles monoparentales, qui évite les barrières de la langue pour les populations immigrées, qui se préoccupe des droits des familles et des enfants, notamment celles et ceux placé.e.s en institution, qui comprend les difficultés particulières des personnes handicapées, qui reçoit un assentiment dans les quartiers populaires, chez les jeunes en déshérence, les marges abîmées par une vie dans le trop peu de tout et le sentiment du rejet social. Il devrait apporter de l’air et de l’horizon aux personnes éprouvées par la vie en confinement qui affecte plus durement encore quand des conditions matérielles d’existence sont insuffisantes.
Il est indispensable que la gestion fédérale de la crise et de son déconfinement soit pensée avec les acteur.trice.s qui accompagnent ces populations les plus vulnérables : l’éducation permanente, le socioculturel, les AMO, la culture en action, les ateliers culturels et sportifs informels dans les quartiers, les éducateur.trice.s de rue, les associations de migrant.e.s, les associations de quartier et maisons du bien-être, les maisons médicales, les plannings familiaux, les acteur.trice.s de la santé en ambulatoire dont les infirmier.e.s de rue et associations organisant maraudes et vigilance sociale, les collectifs d’hébergeur.euse.s, les acteur.trice.s qui s’activent pour les sans-abris, les services associatifs et sociaux dans les prisons, etc. Les limites et/ou interruptions des actions portées par ces acteur.trice.s pendant le confinement démontrent à souhait l’urgence de les entendre sur leurs besoins et de les outiller en conséquence.
Il serait dramatique que seul le critère sanitaire au sens épidémique reste central et sonne à un moment la fin de la crise, alors que ses conséquences sociales et en termes de santé mentale collective vont s’ajouter aux inégalités et injustices sociales préexistantes.
Les acteurs du social et du socioculturel.