Bruxelles, 8 septembre 2022.
Mesdames et Messieurs les ministres-présidents, ministres et secrétaire d’État en charge de la Digitalisation, de la Simplification administrative, de la Transition numérique, etc. [1]
Lire et Écrire – association d’alphabétisation accompagnant des personnes en difficulté de lecture et d’écriture – rejointe par une large partie du secteur de l’alphabétisation et d’autres organismes (voir ci-dessous), attire votre attention sur le caractère discriminant d’une série de procédures de dématérialisation des services d’intérêt général [2], accélérées depuis le début de la crise sanitaire en mars 2020.
Si la numérisation croissante de la société offre de nombreuses opportunités, elle est également source d’inégalités sociales numériques aux conséquences désastreuses pour une partie de la population. Les confinements ont amené une obligation de trouver une solution pour continuer à garder le contact avec la population mais, aujourd’hui, plus rien ne justifie ce « digital par défaut ».
Pourtant, ce que nous constatons depuis mars 2020, c’est que la dématérialisation progressive de ces services a plongé les personnes en situation d’illettrisme dans de très grandes difficultés d’accès à leurs droits et aux ressources de base. Et, même si le plus gros de la pandémie est derrière nous, cette dématérialisation ne s’arrête pas. Elle continue, voire se développe, et est en train de devenir la seule porte d’entrée pour certains services essentiels.
Des personnes mises en difficulté
Prendre un rendez-vous médical, renouveler son abonnement de transports, remplir sa feuille d’impôt, s’inscrire comme demandeur
se d’emploi… se font désormais en ligne. Comme ces outils et usages sont largement liés à une maitrise de l’écrit, les personnes peu scolarisées ou en difficulté de lecture et d’écriture sont donc, au premier plan, concernées par les transformations numériques et les inégalités sociales qu’elles induisent. Comment prendre rendez-vous via Internet avec ces services si on ne sait ni lire ni écrire et qu’on ne sait pas formuler un e-mail ? Comment remplir un formulaire et prouver que « nous ne sommes pas des robots » face à une pop-up qui nous demande d’associer une image à un mot qu’il nous est impossible de déchiffrer ?En plus de mettre ces personnes en difficulté, la dématérialisation accrue met à mal le cœur même des services d’intérêt général, dont certains sont publics, et encore plus au niveau local. Leur vocation n’est-elle pas d’être accessible à l’ensemble de la population ? Y compris celles et ceux qui sont les plus éloigné
es ? Cependant, en ne prévoyant pas ou peu souvent d’alternatives pour accueillir les usager es éloigné es des TIC, c’est exactement l’inverse qui se produit.Pourtant, la Commission européenne dans son Plan d’action européen 2016-2020 pour l’administration en ligne décrit pourtant comme suit le principe du numérique par défaut : Les administrations publiques devraient de préférence, fournir des services par voie électronique (notamment des informations lisibles en machine), tout en conservant d’autres canaux de communication au bénéfice de ceux qui, par choix ou par force, sont hors connexion.
Mais certaines administrations publiques belges ne respectent pas ce principe et elles ont clôturé tous les autres canaux de communication. Par exemple, beaucoup de communes à Bruxelles ne permettent d’inscrire les enfants dans les écoles que par la voie numérique. En Wallonie, certains services communaux, pourtant ouverts pour une partie durant la pandémie, ont décidé de fermer les guichets physiques. À de nombreux endroits en Fédération Wallonie-Bruxelles, pour avoir un contact avec une banque, un centre de contrôle technique automobile, un laboratoire médical, les gens sont priés de prendre rendez-vous par e-mail ou par téléphone, soit deux canaux nécessitant de requérir aux savoirs fondamentaux.
Nous entendons déjà certains pouvoirs publics et d’intérêt général donner l’argument des alternatives proposées. Celles-ci sont juste théoriques car, dans la pratique, certaines sont presque inaccessibles : guichets ouverts quelques heures par semaine et éloignés, disponibles seulement sous rendez-vous (qu’il faut prendre en ligne, d’ailleurs). Ou des services téléphoniques totalement défaillants. Ou le canal papier, qui suppose plus de couts et donc une double peine pour les personnes…
Les plans de relance, d’inclusion, ou de simplification administrative lancés par vos services respectifs imposent « le digital par défaut » et promettent une inclusion rapide de l’ensemble de la population. Dans les faits et les chiffres, ni l’un ni l’autre ne semble acquis. Un très large pourcentage de la population n’utilise pas l’e-mail avec l’administration et ne consulte par exemple pas leur dossier santé en ligne [3]. Ainsi 92 % des personnes ayant un revenu mensuel de −1200 € et 85 % des personnes ayant un revenu mensuel de +3000 € ne consultent pas leur dossier médical en ligne. Et 73 % des personnes ayant un revenu mensuel de −1200 € et 64 % des personnes ayant un revenu mensuel de +3000 € par mois n’envoient pas de mails à l’administration
De plus, une étude qui sera publiée ce vendredi 2 septembre par la Fondation Roi Baudouin nous annonce que la montée en compétences attendue n’a pas eu lieu.
Il est indispensable de garder des alternatives effectives
La réduction des canaux de communication traditionnels (guichet, téléphone, papier) au sein des services d’intérêt général, n’a pas fait l’objet d’une réflexion politique préalable sur les effets de ce processus, comme si le numérique était neutre, inéluctable et allant de soi, et – nous en avons tou
tes fait l’expérience – le numérique ne rend pas de facto la vie des citoyen nes plus facile, que du contraire. Il est urgent, selon Lire et Écrire, que ce processus soit « pensé » ou questionné au regard des principes du service public tels que l’égalité de traitement, le caractère abordable, l’accessibilité, la neutralité, etc. Dans cet esprit, les mécanismes de discrimination que ce processus accentue doivent être identifiés et des mesures doivent être prises pour rétablir une égalité d’accès aux droits et aux services d’intérêt général.Le numérique par défaut divise la société et renforce les discriminations envers les plus fragilisé
es. Il est indispensable de garder des alternatives pour celles et ceux qui ne sont pas numériquement autonomes. Ce qui signifie :- Garantir un accès à tous les services d’intérêt général en maintenant la possibilité d’un contact téléphonique adapté à l’ensemble de la population et un réseau suffisant de guichets offrant un accompagnement qui permet la réalisation des démarches.
- Élargir le tarif social à toutes les personnes exposées à la précarité et garantir qu’il soit applicable aux connexions mobiles.
- Mettre en place un plan ambitieux de lutte contre les inégalités numériques. Les personnes en difficulté de lecture et d’écriture doivent disposer d’un équipement informatique et d’une connexion internet à prix décent et avoir accès à une formation [4] et à un accompagnement numérique de proximité et adaptés à leur situation.
- Consulter en amont les organismes d’alphabétisation comme Lire et Écrire pour penser ensemble la prise en compte des personnes illettrées dans ces processus de dématérialisation (à travers par exemple les commissions parlementaires).
Mesdames, Messieurs les élu
es, pensez inclusion. Il est indispensable de maintenir des canaux alternatifs, des espaces où les personnes qui se retrouvent démunies puissent trouver de l’aide pour réaliser ces démarches dans un monde de plus en plus numérisé qui leur fait de moins en moins de place.Premiers signataires
- ADDEC ASBL
- ADIF Infor-Femmes ASBL
- Agora
- Aide aux personnes déplacées – Liège
- Alpha-Chastre
- Altéo ASBL
- Les Amis de la Terre – Belgique
- Les Amis du Congo Solidarité ASBL
- ARC - Action et Recherche culturelles ASBL
- Association socialiste de la personne handicapée (ASPH)
- ATD Quart Monde Belgique
- Atelier des petits pas ASBL
- Ateliers du Soleil ASBL
- Athmosphères-AMO (Action en mileu ouvert)
- Banlieues ASBL
- La Belle Diversité
- La Bobine ASBL
- Bruxelles laïque ASBL
- Buurthuis Bonnevie VZW – Maison de Quartier ASBL
- CABAN-DIBAC
- Cadreci
- CATI ASBL (Centre d’alphabétisation pour travailleurs immigrés)
- CEMÉA
- Le Centre Alpha
- Le Centre d’action laïque de la province de Liège
- Centre d’Éducation permanente et de Promotion sociale des travailleurs (CEPPST)
- Centre liégeois de formation
- Centre multimédia Don Bosco ASBL – Liège
- Le CEPAG
- ChanGements pour l’égalité (CGé)
- La Chôm’Hier-AID ASBL
- CIEP Hainaut Centre
- CIEP Luxembourg
- CIEP-MOC Bruxelles
- Collectif21
- Collectif Alpha
- Collectif du Travail social en lutte
- Collectif Formation Société ASBL
- Collectif Solidarité contre l’exclusion service Infor GazÉlec
- La Concertation ASBL – Action culturelle bruxelloise
- Convivial
- Coordination des Écoles de devoirs de Bruxelles ASBL
- Coordination sociale de Schaerbeek
- Couleur Café
- CPAS de Molenbeek
- CPCP, le Centre permanent pour la Citoyenneté et la Participation
- Le DisCRI, ensemble des huit Centres régionaux d’Intégration de Wallonie :
- CAI (Namur)
- CeRAIC (Centre)
- CIMB (Mons Borinage)
- CRIBW (Brabant wallon)
- CRIC (Charleroi)
- CRILUX (Luxembourg)
- CRIPEL (Liège)
- CRVI (Verviers)
- DoucheFLUX
- Énéo – Mouvement social des aînés
- Espace 28
- Espace social Télé-Service
- EYAD ASBL
- Fédération BICO Federatie
- Fédération des services sociaux (FdSS)
- les Femmes prévoyantes socialistes (FPS)
- FEZA ASBL
- La FGTB wallonne
- Fobagra ASBL – Auberges numériques
- Form’anim
- Le Forum – Bruxelles contre les inégalités
- Gaffi
- Le Gang des vieux en colère
- GASS
- Habilux
- Hobo VZW
- Housing First
- Inclusion ASBL
- Institut de la Vie ASBL
- Ligue des familles – La Louvière
- La Ligue des usagers des services de Santé – LUSS ASBL
- LINK=Brussel VZW
- Lire et Écrire
- Maison d’accueil Escale ASBL
- Maison de la Paix ASBL – Huis van Vrede VZW
- Maison de quartier d’Helmet
- Maison de quartier du Dries
- Maison des enfants d’Anderlecht
- La Maison du Livre
- Le Maître Mot ASBL
- Le Miroir vagabond
- Le Monde des possibles
- Mouvement ouvrier chrétien
- Options
- PAG-ASA
- La Page
- Perspectives ASBL
- Le Piment
- La Porte verte
- Mouvement Présence et action culturelles (PAC)
- Régie de quartier Mangombroux Abattoirs
- Rencontre des Continents
- Sainte-Walburge ASBL
- Les Sarments
- Service social des Solidarités
- Services sociaux des Quartiers 1030 ASBL – Wijkmaatchappelijk Werk 1030 VZW
- Le Syndicat des immenses
- Tchaï
- La Tchicass
- La Trêve
- Union de locataires d’Anderlecht-Cureghem – EPN Goujons
- Vie féminine Bruxelles
- Voix de Femmes ASBL
- Wolu services ASBL
- Yambi Développement
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